Un bouquin de super-héros ! Un blockbuster avec un héros à mi-chemin entre Bruce Willis et Docteur House. Voilà voilà.

Résumé :

     Darwin Minor est un vétéran de la guerre du Vietnam, un surdoué de la physique et un expert en accidents de la route. Son travail, en compagnie de ses amis Lawrence et Trudy, consiste à analyser des accidents, principalement liés au transport, pour le compte de compagnies d’assurances.

     Embourbé dans une lassitude extrême face à la bêtise du genre humain, Dar (son surnom) règle chaque situation avec un professionnalisme et un génie inégalables. Et tandis que certaines affaires parmi les plus abracadabrantesques glissent sur lui comme si de rien n’était, un schéma se dessine dans la longue liste des accidents dont il s’occupe : celui de la simulation et de la fraude à l’assurance.

     Les choses s’emballent lorsque le docteur Darwin Minor est victime d’une tentative d’assassinat. Il croise alors la route de l’agent Sydney Olson, du FBI, et s’implique dans une enquête de très, très grande envergure.

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À chaud :

     Bon, soyons clair, j’ai détesté ce livre. Disons, je n’ai pas résisté aux quelques dosettes de suspens, ni à certaines anecdotes liées aux Darwin Awards, mais globalement, je suis soulagé de reposer ce livre. Je crois que je vais résumer ça en deux points qui fusionnent en un troisième, achevant de pourrir la lecture.

     Le premier problème, c’est le personnage principal. Darwin Minor est un surhomme. Littéralement : il obtient un diplôme de physique avancé à 19 ans, possède une vision supérieure à la moyenne, une mémoire photographique, une intelligence hors-norme, un sang froid inébranlable, une maîtrise de la conduite et du pilotage. Il est riche, possède plusieurs maisons, pas moins de 7 000 bouquins, plusieurs voitures, des œuvres d’art, un planeur, du matériel technologique de pointe… Il est héroïque, capable d’encaisser des blessures conséquentes sans en souffrir plus que ça, il est sage, adepte de philosophie antique, et enfin il est séduisant, réduisant à néant le professionnalisme de l’agent Olson. Bon, vous voyez le problème ? Darwin Minor n’a pas de défaut. Littéralement aucun. Il réussit tout ce qu’il entreprend parce que c’est un génie avec un super-ordinateur entre les oreilles. Les seuls échecs qu’il rencontre sont le pur fruit d’un hasard mal venu (je parle de l’auteur). Alors, à la rigueur, est-ce que c’est si grave ? Non, dans la mesure ou on peut tout à fait aimer ce genre de personne complètement incohérente (ne serait-ce que statistiquement, commettre deux-trois conneries c’est le minimum pour être vraisemblable dans un bouquin). Mais oui, quand même, oui c’est un problème quand il s’agit de s’identifier à un protagoniste. De s’inquiéter pour lui, d’avoir de l’espoir pour lui. Darwin Minor ne suscite aucune empathie : inutile de s’inquiéter pour lui, ce qu’il veut, il l’obtient ou l’a déjà. Et en vérité, on se fiche un peu de ce qu’il veut, parce qu’il est stoïcien, adepte de la philosophie spartiate, et que globalement il ne désire pas grand chose. Ah, et il n’a pas de famille, guère de proches, il est donc plutôt inatteignable et renfermé. Bref, un héros monolithique sans prise, froid et vraiment peu intéressant.

     Le deuxième problème, c’est l’écriture de Dan Simmons. En lisant ce livre, je me suis imaginé l’auteur découvrir la définition de «l’énumération», et se dire « grands dieux, c’est génial, je vais en mettre partout ! ». Non, sérieusement. Je pense que c’est un artifice pour rendre encore plus mécanique la pensée de Darwin Minor, mais peu importe, c’est excessif et pénible. Grosso merdo, pour vous résumer : toutes les deux pages, vous avez une description a) de voitures, b) d’armes à feu, c) d’équipement technologique, et indépendamment de ce dont on parle, l’auteur nous livre en lieu et place de littérature des passages de catalogues. On oscille ainsi entre la diarrhée d’informations inutiles et la surenchère de détails débiles. Par exemple, à un moment, on nous présente en détail le matériel disponible dans le petit QG de l’équipe du FBI, en passant par le distributeur d’eau, les imprimantes, la taille des écrans au cm près, le nombre de chaises et de tables. Mais ce n’est pas tout puisqu’en plus de savoir combien de téléphones sont présents dans la pièce, on apprend également que chacun possède six lignes simultanées. C’est à dire que non content de nous gaver d’informations sans intérêt, on enfonce le clou en s’attardant dessus, en nous précisant la nature et la structure d’un détail dont on souhaite seulement se passer, à l’avenir. Bon, c’est un exemple, personnellement c’est à partir de ce moment que je me suis rendu compte que ce que je pensais être une maladresse anodine mais désagréable allait en fait devenir un véritable cérémonial, à tel point qu’en devinant ces passages, en les sentant arriver avec la subtilité d’un troupeau de caribous au grand galop, je les ai tout simplement ignorés. D’autant qu’ils n’apportent strictement rien : la grande majorité de ces détails sont simplement cités, énumérés à la chaîne, sans avoir réellement d’impact sur le déroulement des événements. Je veux dire, les objets en question finissent par être utilisés, mais le détail à ce point poussif n’apporte strictement rien, si ce n’est dévoiler à quel point l’auteur s’est renseigné et documenté. Ce qui est ballot puisqu’il aurait tout aussi bien pu s’en priver.

     Bon et le dernier point, qui est le résultat d’un savant dosage entre un personnage inintéressant et d’une écriture digne d’un catalogue de Leroy Merlin, c’est une histoire qu’on vit de très, très loin. Le point de vue est souvent centré sur Darwin Minor, le personnage dont on se fiche de savoir ce qu’il fout au juste, surtout à partir du moment où l’on comprend que le mec est juste immortel et infaillible. C’est comme d’aller voir Mona Lisa au musée, et de revenir avec des clichés flous gâchés par une épaule de touriste en sueur au premier plan. Bon. Et quand on occulte le fait que le personnage principal ne nous plaît pas (à la rigueur, pourquoi pas), il nous reste une écriture si pesante que le flot de détails empêche littéralement de vivre l’histoire. C’est délicat de ressentir la pesanteur d’un suspens éreintant, quand on sort de cinq paragraphes sur l’équipement des G.I. américains pendant la guerre du Vietnam. Où l’on se demande à quel moment exactement est-ce que la litanie de matériel qu’on m’a imposé va se révéler vitale pour l’intrigue. Je n’ai jamais lu de livre où l’auteur semble à ce point résolu à flinguer son propre travail. Personne n’a relu son manuscrit ? Personne ne lui a dit « écoute Dan, c’est bien de se documenter, tout ça, mais là, tu devrais peut être juste… tu sais… Laisser pisser ». Je ne sais pas… Six cents pages, desquelles on peut retirer 50% de descriptions cataloguesques, les quelques anecdotes d’accidents rigolos qui sont en fait des copiés-collés de Darwin Awards vus et revus (franchement, sur des trucs aussi grotesques, est-ce que c’est pas dommage de ne pas nous avoir inventé des choses plus personnelles ?), il ne reste in fine qu’une intrigue  reléguée au rang de décor, dont l’enquête principale se résout pour ainsi dire toute seule (via des figurants) et en arrière plan.

Et donc ?

     J’avais vraiment bon espoir pour ce livre, d’autant plus après avoir lu Les Cantos d’Hyperion. Le personnage de Dar me faisait beaucoup penser à celui du Consul, d’ailleurs. Mais passé les premières pages, les premiers chapitres, on perçoit à travers les lignes du texte le maillage grossier de l’auteur : personnage sans défaut + anecdotes d’accidents + catalogue ultra technique. Bravo, Darwin Minor est effectivement le plus adapté à l’environnement de ce roman : plat, fastidieux, sans saveur.

     C’est vraiment dommage, parce que le titre suggérait de bonnes idées, du potentiel. Mais on se rend vite compte que le personnage de Darwin Minor tient seulement son nom pour caser une fois dans le roman la référence explicite aux Darwin Awards. Pas de réflexion, pas d’opposant digne de ce nom à Dar, pas d’enjeux, merci-bonsoir.

5 réflexions sur “L’épée de Darwin, de Dan Simmons

  1. Je viens de lire ce roman et je n’ai pas tout à fait le même avis que toi! Je pense notamment aux descriptions et je ne peux m’empêcher de les comparer à American Psycho! Si la lecture n’en ai pas facilité elle installe une atmosphère met le lecteur dans un état d’esprit spécifique. Et à souhaiter plus d’actions et plus d’éléments directement utiles à l’histoire on arrive à des romans standardisés qui ne surprennent plus.
    Perso, le foisonnement de détails ne m’a pas géné mais je te rejoins sur le reste, le texte à d’autres défauts.

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  2. Tu m’as perdue à « grands dieux, c’est génial, je vais en mettre partout » 😛
    Mince, alors moi qui devais lire les Cantos d’Hyperion, voilà qui ne m’encourage pas! Néanmoins, bravo pour cette chronique efficace; un délice à relire! 🙂

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    1. Ha, merci !
      Alors autant celui-ci est très moyen, autant les Cantos sont vraiment chouettes, en particulier le premier (j’ai moins aimé le second, la Chute d’Hyperion, mais je l’ai dévoré avec plaisir). Bref, si tu trouves le temps, les Cantos sont un bon choix, un univers très riche et une écriture beaucoup plus équilibrée que dans L’épée de Darwin 🙂

      Merci pour ton commentaire !

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