Un thriller ancré dans Paris, une équipe de joyeux potos rigolards comme détectives de la police, une incursion dans les tribunaux et les hôpitaux, et en faisant un léger crochet par le monde de l’art. Ho, et la prostitution, la drogue, la maltraitance, le travail au noir, l’immigration, la guerre, la folie, la maladie et bien sûr, la mort.

Résumé :

     Rovère, Dimeglio, Choukroun et Dansel sont inspecteurs au 36, quai des Orfèvres. Leur quotidien se gorge d’affaires, toutes si sordides qu’elles en deviennent, tristement, assez banales. Mais ce matin-là, ils sont appelés à proximité d’un chantier près de Porte de la Chapelle, pour constater un crime qui laisse pantelant recrues comme vétérans.

     Plus au sud de Paris, à l’hôpital Trousseau, Françoise est infirmière dans un service pédiatrique. Elle côtoie des enfants, souvent en fin de vie, à longueur de journée. Rien que de très banal, encore une fois, malgré les tragédies qui rythment les heures passées au chevet des petits patients. Et puis, il y a Valérie, la fillette de huit ans. Opérée pour une tumeur au pancréas, elle continue de présenter des symptômes troublants, inexplicables si ce n’est… au vue d’une aggravation de son état.

     Enfin, il y a Charlie. Un paumé, un type qui ne demande plus rien à personne depuis qu’on lui a demandé d’aller faire un tour en enfer, dont il n’est pas vraiment revenu. Alors quand il peut s’occuper d’une fillette au moins aussi perdue que lui, il retrouve un semblant de sens à son existence délitée.

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À chaud :

     Moloch est un thriller profondément ancré dans Paris. Pour y avoir habité, chaque chapitre, chaque déplacement des personnages évoque des lieux bien précis : la rue de Belleville, le quartier des Pyrénées, la porte de Pantin, les marchés de Clignancourt… Le roman est un voyage dans Paris, dans ses quartiers touristiques et pimpants comme Saint Michel, mais aussi dans des endroits plus sombres, où l’apparat cède la place aux quotidiens des habitants.

     L’écriture de Thierry Jonquet est très agréable à lire. Une prose très pragmatique, relevée par ci par là de métaphores plus ou moins adaptées, et des dialogues oraux, crédibles et dynamiques. Le bouquin date de 98, donc forcément, le style a un peu vieilli et parfois la singerie (peut être honnête, qui sais) de la manière de parler des gens de banlieue ressemble un peu à la caricature qu’on faisait du «bon petit nègre» il y a cent ans. La ponctuation est souvent surjouée, à mon sens, la quantité de point d’exclamation m’a souvent poussé à imaginer les personnages s’indigner un peu outre-mesure étant donné les contextes. Mais ce sont là des détails, le principal se trouvant plutôt dans le flot constant et de qualité de l’écriture de Thierry Jonquet. Ça déconne un peu par moment, mais sur la longueur, le roman ne demande qu’à être lu.

     On y retrouve sa fidèle équipe, la même que dans les Orpailleurs. Des flics endurcis, lucides, qui essaient de garder la tête froide en blaguant, en s’enveloppant d’une barrière de second degré pour ne pas trop douiller sous les uppercuts que la vie leur décoche à chaque enquête un peu plus glauque. Il y a une forte camaraderie entre eux, même envers Choukroun, le jeunot qui a rejoint l’équipe en dernier. On y suit aussi les deux procureurs, Nadia Lintz et Maryse Horvet, que l’on découvrait dans les Orpailleurs. J’ai beaucoup aimé la part laissée aux femmes, leur importance dans l’intrigue et la légitimité qui ne leur est jamais retirée. Les quelques allusions patriarcales sont en général intégrées pour nous permettre de voir comment elles y font face, par exemple lorsque Isy, un ancien cambrioleur et prisonnier des camps de concentration, exhorte Nadia à quitter son rôle de procureur pour la protéger, arguant qu’il s’agit d’un métier d’homme. On y perçoit très nettement comment l’argument tombe à l’eau de lui-même.

     L’intrigue est, au départ, difficile à suivre : la narration est éclatée en chapitres suivant différents personnages, chaque chapitre est découpé en mini-chapitres plus ou moins selon des ruptures chronologiques ou spatiales. Le point de vue, un peu affolé, suit tour à tour des personnages qui n’ont à priori rien à voir entre eux, on se détourne de l’intrigue, on y revient par un autre personnage… Les premières pages font un peu tanguer le navire, mais on s’y fait vite. J’ai un peu peiné à tenir compte du temps – le roman se déroule sur une semaine et demie, grosso modo – mais hormis cela, on met les pièces du puzzle en place sans trop de difficulté. Je ne pense pas que le dénouement soit prévisible trop tôt, autrement qu’en devinant au bol. Il y a un vrai travail pour nous détourner, parfois nous noyer d’informations, avant que les fils ne se délient. Mais, très honnêtement, l’intrigue policière n’est pas le plus important dans ce roman. Il y a bien plus à apprécier dans les coulisses de l’enquête.

     Parce que certes, il y a des morts, des enquêtes, des perquisitions, des interrogatoires, bla bla bla. Mais tout ça est ponctué de timides et discrètes incursions dans la vie des personnages : la relation de Rovère avec son ex-femme Claudie, l’intimité du très pieux Dansel, la famille juive très pratiquante de Choukroun, les enfants rebelles de Dimeglio… Chaque fois, et en particulier pour Dansel, j’ai été frappé par la douceur et la subtilité avec laquelle l’auteur nous tire un coin du rideau pour regarder autrement ses personnages. Le roman est assez cru, on y suit par exemple les autopsies avec une précision… chirurgicale, en général, peu de détails sont épargnés. Mais lors de ces petites intrusions chez les protagonistes, le non-dit s’installe, comme on protégerait un oisillon au creux de ses mains. Les personnages en deviennent infiniment plus attachants, on fait sans peine la part entre leur façade rigolarde au boulot, et le volume immergé de l’iceberg que dissimule chacun des personnages fracassés de Thierry Jonquet.

     Bref, un traitement vraiment fin des personnages et de la narration. Et pour en finir, revenons sur le thème du roman. Moloch n’est pas vraiment un thriller policier. Bon, si, c’en est un, mais c’est beaucoup plus. C’est surtout une réflexion, du moins un tableau brossé sur le thème de la souffrance des enfants. Certes, le bouquin s’ouvre sur quatre meurtres et une enquête va venir rythmer les 400 pages à suivre. Mais le fil rouge, c’est la souffrance des enfants. Permanente, omniprésente, tapie dans chaque recoin qui échappe à la vigilance, ou même en plein jour lorsque les témoins se promènent avec des œillères. Je ne pense pas que le roman soit particulièrement militant, mais le propos du livre pourrait tout de même se résumer à : ok, les enfants n’ont jamais été reconnus, protégés et aimés comme aujourd’hui ; mais prenez garde, tout ça est une bien fragile construction en regard de l’âme humaine. Et finalement, si c’est vrai pour les enfants, c’est vrai pour les droits des femmes, la liberté, la pensée critique… Donc, prudence.

Et donc ?

     Moloch de Thierry Jonquet est un chouette livre. Il se lit aisément – sauf si vous êtes sensibles aux trucs un peu dégueulasses, dans ce cas là certains passages du bouquin sont assez sales. On y trouve des personnages extrêmement attachants, un sentiment de complicité très prenant. L’enquête manque un peu de pêche parfois, ce n’est pas vraiment haletant, mais ce n’est pas l’intérêt de Moloch de toute façon. C’est plutôt une découverte de Paris sous des angles moins usuels que les classiques Tour Eiffel/la Seine/Notre-Dame. C’est un roman qui invite à regarder des choses qu’on a pas forcément envie de voir, sans militantisme, sans morale à demi cachée, juste une invitation à relever la tête en marchant dans la rue pour regarder autre chose que ses propres pompes.

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